Alors, comment concilier travail, scolarité et confinement ?
« Je viens d’entendre le président annoncer la fermeture de toutes les écoles. Rassurez-moi, c’est avec les enfants à l’intérieur ? »
Parce que :« Moi je vous le dis. Si les écoles restent fermées trop longtemps, les parents trouveront un vaccin avant les scientifiques ! »
J+ 8 de ces « Corona Vacances ». Chacun s’organise comme il peut - « J’m’ennuiiiiiie » - pour poursuivre son travail – « mamannnnnn, chais pas quoi faireeeeee » - et prie pour que les enfants jouent et s’occupent tout seul, « Mamaaaaaaan, il arrête pas de m’embêter !» afin de glaner quelques moments de répit.
Mais voilà, les enfants ont des périodes de jeux bien aléatoires, qui dépendent de leur âge et de leur maturité neurologique. Plus ils seront jeunes et plus ils auront besoin de votre regard pour valider ce qu’ils sont en train de faire. Jouer c’est explorer et l‘enfant à tout le temps besoin de valider ses découvertes dans le regard de son parent « Regardeeeeeeee paaaaapaaaaa !!!! » ou pour attirer l’attention « qu’est-ce qui se passe si j’appuis sur cette touche… » « NONNNN !!! » « oups, désolé… ». Il va falloir apprendre à perdre du temps pour en gagner, car vous le savez, ils ne lâcheront pas prise…
Mais pourquoi nos enfants se comportent-ils « comme des gosses » ?
S'organiser, c'est vital, alors comment procéder?
Pour pouvoir bien s’organiser, et en plus dans un espace restreint, je trouve essentiel de bien comprendre comment fonctionne un enfant. En effet, il ne s’agit pas d’un adulte en miniature qui va comprendre la situation exceptionnelle et s’adapter en étant « être sage comme une image ». Leur demander de rester calme pour vous laisser travailler, va leur puiser toute leur énergie, et vous le « payerez » le reste de la journée.
Je ne vous apprends rien, plus un enfant est jeune, et plus il aura du mal à se contrôler. La faute à son cerveau. Cet immense disque dur avec des milliers de câblage qui ne sont pas fonctionnels… Le cerveau est complètement immature et va s’organiser de l’arrière (zone visuel) vers l’avant (les capacités d’auto-contrôle). La zone « du gendarme » est donc la dernière à mûrir vers…. 25 ans, voire 30 ans si vous avez un enfant porteur d’un trouble neuro développemental. Et durant tout ce temps, c’est vous, parents qui pallierez cette immaturité. Pas facile non plus, les ados confinés…
Cette zone, le cortex pré-frontal, se situe juste derrière le front. Elle est le siège des Fonctions Exécutives.
Il s’agit de 5 habiletés indispensables et constamment sollicitées face à de nouveaux événements.
Un exemple pour mieux comprendre :
Lundi 16 mars ; 6h du mat ; vous vous levez comme d’habitude ; sans réfléchir vous allez à la cuisine ; vous commencez à préparer le petit déjeuner, vous êtes en mode automatique. « Coprolithe ! »
Tout à coup, vous réalisez que c’est le confinement (événement nouveau, il faut s’adapter) ! L’école à la maison, DIANTRE ! (Gestion des émotions, recherche de solution) ; Il faut charger les cours pour chacun des enfants (prise de décisions). Vous prenez votre téléphone et là, vous découvrez 4 mails super importants de votre boîte (gestion des émotions) ! Vous en ouvrez deux qui vous paraissent prioritaires (planification) car vous entendez les enfants se réveiller (interférences, qui sollicitent l’attention divisée, ce qui permet de poursuivre la tâche la plus importante, tout en gardant une oreille sur les garçons). PAM !!!!
Un énorme bruit vous fait sursauter (c’est l’amygdale, petite structure au milieu de notre cerveau, qui vient de prendre la main, elle reçoit prioritairement les informations sensorielles et nous fait réagir physiquement, avant même que vous ne sachiez pourquoi : question de survie…). L’amygdale et ses alliés.
Vous accourez dans le salon pour découvrir que vos deux garçons se disputent la X – Box et qu’ils ont cassé une table. Vous êtes furax et vous avez bien envie de les secouer (inhibition de l’agressivité). Vous mettez la table de côté pour que personne ne se blesse (recherche de stratégies et priorisations) et vous retournez répondre aux mails les plus importants (récupération active en mémoire de la tâche car le circuit de la récompense – votre réputation, votre salaire- est activée, et planification des tâches par priorité, faudra pas oublier les devoirs) avec vos enfants sous les bras pour les surveiller (flexibilité : passer d’un problème à un autre) tout en vous demandant où est rangé le Chamboule tout (distracteurs internes) pour les occuper, et où vous allez cacher la X-Box... Et le linge, vous avez oublié la machine (encore un distracteur) !
Vous vous sentez déjà débordé(e) par cette première demi-heure, comment allez-vous faire pour occuper les enfants tout en répondant aux contraintes professionnelles ? (recherche d’une image mentale et d’une stratégie et Gestion des émotions par une tentative d’inhibition de la panique qui monte…).
Vous l’avez compris, les Fonctions Exécutives gèrent toutes nos activités avec plus ou moins d’intensité. Elles sont très mobilisées lorsque la tâche est inconnue et beaucoup moins lorsqu’il s’agit de routines. Elles permettent le maintien de l’attention, qui peut être sur plusieurs actions simultanément. Elle est activée par les circuits de la récompense, sans se laisser divertir, afin de poursuivre son action jusqu’au bout. Ce qui sous-tend la capacité à inhiber ce qui n’est pas prioritaire (autant à l’extérieur qu’à l’intérieur avec toutes nos angoisses, nos pensées) ou non adaptée au contexte.
De plus, il y a constamment compétition entre différentes zones de notre encéphale. On a parlé de l’Amygdale qui filtre toutes les sensations et s’activent lorsqu’une pourrait être potentiellement dangereuse. Néanmoins, il y a aussi la zone des Automatismes : le Cortex Pariétal.
Ainsi, lorsqu’on voit une porte fermée, notre cerveau anticipe les actions possibles et il prépare le mouvement pour attraper la poignée et ouvrir la porte. Mais si nous sommes dans une salle d’attente d’un cabinet médical, on ne le fera pas car notre « gendarme », le pré frontal va inhiber cette action. Mais pas chez certains enfants dont le cortex pré frontal est fragile et donc pas suffisamment fort pour stopper ce qui n’est pas adapté. Trop tard, ils ont ouvert la porte…
Voilà la base des bêtises et de la désobéissance de nos enfants… C’est pourquoi, les enfants ne savent pas s’arrêter, font des bêtises ; ne lâcheront pas la TV pour aller se brosser les dents car la récompense « dentifrice » n’est pas folichonne ; n’apprennent pas de leurs erreurs ; sont submergés par la colère face à la perte d’une chips qui ressemblait à un dauphin ; ne peuvent pas réprimer leur besoin de bouger, de toucher, ou encore ne rangent jamais leurs affaires, ni n’éteignent les lumières car ils sont déjà passés à autre chose… En effet, là aussi les Fonctions exécutives permettent de constamment réévaluer la tâche ou son propre comportement.
Tout ceci n’excuse en rien les enfants, alors vous pouvez continuer à les sermonner, ce qui permet d’entraîner leurs capacités de contrôle. Car comme toute chose, le cerveau est extrêmement malléable, et les jeux sous toutes leurs formes, permettent aux enfants de s’entraîner et de faire mûrir leur cerveau pour acquérir leurs habiletés d’adulte.
Ainsi, pour arriver à automatiser certains comportements rébarbatifs comme faire les devoirs, qui n’apportent aucune récompense à court terme, ni d’intérêt à long terme (rien à faire d’avoir un métier à 7 ans !), va nécessiter d’activer les circuits de la récompense chez vos bambins !
Comment inciter vos enfants à faire leurs devoirs sereinement ?
Il s’agit d’instaurer un tableau des récompenses. Pour gagner la récompense chaque jour, il faudra avoir cumuler suffisamment de points ou de smileys.
Vous allez me dire comme je l’ai souvent entendu : « c’est du chantage !»
NON, c’est un contrat. Et vous ? Vous préférez remplir vos objectifs professionnels sous la menace implicite d’un licenciement ou dans la perspective d’une prime ?
J’irais plus loin, c’est prouvé ! L’étude de P. Caldarella et al. In Educationnal Psychology du 29/01/20 révèle que des élèves de primaires qui ont reçu des encouragements au lieu de reproches ont gagné 30% de concentration en plus ! Efficace et pas cher…
Nos enfants sont des malins, ils ont bien compris que quand ils viennent nous asticoter alors que nous sommes en plein travail, ils gagnent une vidéo! Ainsi, lorsqu’on donne de l’attention à un comportement, on le sélectionne, car sans s’en rendre compte, on récompense l’enfant de ce comportement. Je suis pénible, je me bagarre, on m’accorde de l’attention et en plus, je gagne une récompense avec une vidéo ! Comme cela la prochaine fois que je veux obtenir la TV, et bien je n’ai qu’à générer une bagarre…
Pour inverser la tendance, il faut valoriser les bons comportements. En les valorisant, l’enfant les reproduira pour avoir la meilleure des récompenses, votre attention. Parallèlement, il faut prévoir une sanction qui tombe sans argumentation, lorsque c’est nécessaire : bagarre = corvée d’aspirateur.
Petit à petit, vous allez apprendre à votre enfant à s’occuper seul. Chaque fois, qu’il ne vous dérange pas, ou qu’il a une bonne attitude, FELICITEZ-LE ! Au début, vous pouvez accompagner vos compliments d’un ou plusieurs points verts / smileys, cela va faire sécréter de bonnes hormones, dont leur cerveau se souviendra. De même, multipliez les câlins lorsqu’ils sont « autonomes », ça renforce aussi.
Si votre enfant vous colle, c’est qu’il est en panne sèche d’attention/ affection ! Collez-le jusqu’à qu’il se détache de lui-même car son réservoir d’affection sera plein. Plus votre enfant est jeune et plus il faudra recharger ses batteries souvent.
Comment organiser le temps de travail de nos enfants vs le planning professionnel des parents ?
Pour rassurer les enfants, il est primordial d’imposer un planning et d’aménager l’espace en fonction des tâches, avec un « coin travail », un lieu « temps libre » et un espace « temps collectif » ou « activités dirigées »… Ainsi, comme à l’école, l’enfant sait ce qu’on attend de lui en fonction des lieux et des différentes périodes de la journée. Le faire travailler à côté de son bateau pirate est chimérique… Si vous pouvez, isolez l’espace travail avec le strict minimum, pour œuvrer afin de favoriser la concentration, tout en étant à proximité de l’ordinateur ou de la tablette, pour recevoir et transmettre les devoirs.
Pour pallier l’immaturité du cortex préfrontal, prévoyez un sablier ou un timer pour que votre enfant visualise le temps imparti à son travail scolaire et qu’il planifie avec votre aide la durée qu’il passera sur chaque matière. De même, certains enfants vont avoir besoin d’aide pour démarrer une consigne ou une activité, aidez-les à se mettre dedans, avant de partir faire autre chose mais n’oubliez pas de revenir les féliciter.
De plus, comme toute la famille a besoin de travailler à des moments différents, je vous conseille d’instaurer un code vestimentaire, comme le port d’une casquette, qui leur permettra de savoir s’ils peuvent vous déranger ou pas. Vous portez la casquette, vous n’êtes absolument pas disponible ! Pratique lorsque vous donnez les consignes à un autre enfant ou si une vidéo conférence s’invite subrepticement.
N’oubliez pas de féliciter l’enfant qui a attendu, voir de le gratifier de plusieurs smileys.
Il y a donc aussi un tableau des récompenses et des routines à fabriquer (modèle ci-dessous). Vous pouvez mettre une colonne pour valoriser tous les bons comportements (attendre, parler doucement, se mettre au travail sans négocier) et une colonne « Responsabilités » avec quelques tâches à effectuer pour aider (ranger sa chambre, débarrasser).
Déterminer avec l’enfant le privilège qu’il obtiendra et vous décidez de la valeur de chaque point.
- Un point vert = une minute d’écran ou un temps spécial plus long,
- 40 points : un privilège comme dîner devant la TV…
Seul, l’adulte est habileté à apposer les points verts, sticker ou smiley. Soyez généreux pour instaurer un nouveau comportement, quand il est bien ancré, passez à un autre objectif.
Enfin, il vous reste à caler vos besoins professionnels sur l’emploi du temps des enfants. Il ne s’agit plus d’avoir des temps de travail distincts comme 8h30 - 12h30, etc.… mais de fractionner les tâches en fonction de leurs priorités et de leur coût attentionnel.
Si vous avez un rapport délicat à rendre, levez-vous tôt, ou couchez-vous tard, pour disposer d’un temps sans « distracteurs ».
De même, les écrans restant une puissante récompense alors utilisez la comme telle, toutefois de façon modérée et adaptée à l’âge des enfants ; et réservez-la quand vous allez avoir besoin de toute votre attention face à une tâche nouvelle. Les chansons et les histoires audios sont aussi d’excellents médiateurs lorsque les enfants sont fatigués et qu’ils ne peuvent plus se contrôler.
Côté enfant, je vous propose une organisation qui est basée sur la chronobiologie. C’est l’étude de nos rythmes biologiques qui fait que nous allons avoir des pics d’hormones naturelles qui vont nous rendre plus compétents intellectuellement ou corporellement à des heures définies de la journée.
- Entre 7 et 9 h, l’enfant est dans une période d’inertie qui suit le réveil. On observe une faible vigilance, des trous de mémoire, des difficultés de repérages spatio-temporels, des troubles de l’humeur et une maladresse globale du corps. Si vous vous êtes levés suffisamment tôt, vous pourrez bénéficier d’une période de travail pendant qu’ils émergent.
- Cette inertie s’évapore au cours de la matinée pour laisser place à un pic de performance intellectuel vers 9h30 - 10h. C’est le moment ou la mémorisation à court terme est la meilleure. C’est donc le moment de se mettre au travail scolaire. J’utilise ce temps pour faire plusieurs choses en même temps, comme répondre aux questions tout en préparant le déjeuner.
- A 11h, c’est la période où nous présentons la meilleure dextérité, alors privilégiez le travail du graphisme et de bricolage pour les maternelles.
- Entre 11h30 et 12h, la faim les rend agités et plus agressifs. Il est temps de passer à table. S’en suit une baisse de performance appelée « effet post-prandial ». Les plus jeunes iront à la sieste, les autres peuvent respecter un temps calme dans leur chambre pour lire, dessiner, colorier ou s’adonner aux jeux imaginaires.
Il est important de jalonner la journée de temps partagés où l’enfant décide de l’activité jeu. Votre enfant a besoin de remplir son réservoir affectif et ce temps de plaisir et de complicité est le meilleur des carburants ! Et comme il se sentira bien après ce moment de qualité, vous pourrez bénéficier de temps pour vous.
- Après 15h, le niveau de vigilance augmente de nouveau, période idéal pour reprendre le travail scolaire, revoir les nouvelles notions du matin car la mémoire à long terme est optimum. Cet horaire, tout comme à 11H20, est très favorable aux mathématiques !
- Les capacités physiques sont optimums de 17 à 19 h, c’est le temps du « pétage de plomb », un moment où se défouler est permis (crier, sauter, courir) et de pratiquer du sport en famille. Ça s’est aussi valable pour vous, si vous ne voulez pas sortir du confinement avec 5 kg en plus ! (voir prochain article « Les Olympiades à la maison : l’importance de maintenir des activités physiques pendant cette quarantaine et travailler le retour au calme »). C’est aussi le temps du bilan de comportement et de l’obtention des privilèges !
N’oubliez pas d’aménager le temps du bain, c’est un moment où votre enfant va se détendre et beaucoup jouer seul. Mettez quelques jouets, tasses, éponges pour qu’il puisse transvaser, vous pourrez travailler tout en gardant un œil sur vos enfants, car bien sûr, il ne s’agit pas de les noyer en fin de journée.
Attention, pas d’excitation passé 20h, car il y a augmentation de la température corporelle, ce qui risque de retarder le moment de l’endormissement. En effet, pour s’endormir le corps a besoin de refroidir en perdant un degré.
Pour les ados, poser aussi un cadre. Vous ne pouvez pas contrôler l’heure du coucher mais vous pouvez gérer l’heure du lever, tout comme l’accès à internet et à la cuisine. S’ils respectent un minimum d’horaires ainsi que les consignes de confinement, ils gardent l’accès à internet et le choix d’un repas, par exemple. Ils ont aussi besoin de temps plaisir, invitez-les à venir partager leur musique pour se défouler en dansant.
Petit à petit, votre organisation va se construire, s’assouplir ou se façonner à votre rythme de vie. Il faut varier les privilèges pour qu’ils gardent un attrait. Et n’hésitez pas à faire « des conseils de famille » où tout le monde pourra verbaliser ses frustrations, ses contrariétés, ses plaisirs, ce qui aura le mérite de vider les rancœurs et d’ajuster votre organisation en fonction de chaque individu.
Exemple de tableau ci-dessous.
